« Je ne sais vers quel âge, mon père biologique m'a confiée à sa mère.
Je me rappelle, suivant les dires de ma grand-mère que mes parents avaient des problèmes relationnels. Mon père était absent toute la semaine. Son métier l’accaparait, il était capitaine de goélette sur le Temehani, et faisait la tournée des îles sous le vent. Il n’était présent à la maison que le week-end.
Ma venue n'était pas prévue. Mais malheureusement je suis arrivée comme un cheveu dans la soupe.
Ma venue n'était pas prévue. Mais malheureusement je suis arrivée comme un cheveu dans la soupe.
Je n'ai jamais eu de contact très chaleureux avec ma mère. Elle avait une préférence pour mon frère cadet. Mais cela ne m'affectait aucunement. J'étais très heureuse avec ma grand-mère et mon nouveau père, son compagnon. Il s'est occupé de moi dès qu'il m'a vue à la maison.
La première année, il a dû me faire soigner à l'Institut Malardé. Ma mère avait pris des remèdes de médecine locale pour m'expulser, mais ça n'a pas été assez efficace. Je suis née le cuir chevelu purulent.
Ma grand-mère me racontait souvent quand mon père adoptif allait faire la tournée des potes. Il préparerait notre panier, avec des langes, du lait, un biberon et on partait ensemble sur son vélo.
J'ai oublié de mentionner que celui que je nomme « mon père » était un popa’a français de souche auvergnate. Il était arrivé à Tahiti en 1934, à l’âge de 22 ans. Il a visité presque toutes les îles des Tuamotu et a participé à la pêche à la nacre, avec un groupe de pêcheurs de Moruroa, déserte à l'époque.
Il était vendeur de bijoux fantaisies dans les îles. Il a appris son métier de charpentier avec Mr Richerd, ensuite il est parti en Nouvelle Calédonie puis aux Hébrides (actuellement le Vanuatu, ndlr).
Je suis alors restée avec ma grand-mère, mais comme elle travaillait comme serveuse au Grand Hôtel, elle m'a confiée à une famille, qu'elle rémunérait tous les mois et qui me considérait comme leur fille.
Ma grand-mère était une très belle femme. Elle a côtoyé le milieu touristique, elle parlait un anglais impeccable et pourtant elle n'a jamais eu l'opportunité de fréquenter l'école car elle était l'aînée de 17 frères et sœurs. Elle a été interprète pendant le tournage des « Révoltés de la Bounty », elle a bien connu Tarita (la femme de Marlon Brando, ndlr), Marlon Brando et d'autres artistes.
J'ai débuté ma scolarité au Collège Viénot et j’ai été admise en pension, jusqu'à mes 14 ans. Ma grand-mère est rentrée à Tahiti au bout d'un an.
Entre-temps mon père m'a fait connaître la Nouvelle Calédonie et surtout l'île des pins.
La semaine, j'étais en pension chez les Religieuses (je m'y suis beaucoup plu) et le week-end, je restais avec mon père fa’a’amu.
Mon père m'a adoptée en 1963, d'où mon double nom, puisque c'est une adoption simple.
Retour en 1964 à Tahiti.
En juillet 1966, mon père m'a emmenée en France pour deux ans, dans l'Aveyron, à Laguiole dans sa famille, chez son frère jumeau. L'épouse de mon oncle me considérait comme la bonne de la maison.
Mon père est revenu me chercher et nous sommes partis en Dordogne où il avait acheté une propriété. Ma grand-mère nous a rejoint en suivant.
Mes relations avec mes parents biologiques, surtout avec mon père fanau étaient au beau fixe, j'ai deux frères de sang mais je suis très liée avec le cadet depuis notre enfance. Le deuxième a été élevé par notre grand-père maternel.
Ma mère a eu quatre enfants mais n'en a élevé aucun. Nous avons été distribués un peu à qui voulait bien de nous. Heureusement que les grands parents existent !
Ma mère a eu quatre enfants mais n'en a élevé aucun. Nous avons été distribués un peu à qui voulait bien de nous.
J'admire ces familles de France qui viennent chercher des enfants à adopter.
J'ai connu des amis, un couple qui a adopté un petit tahitien et que mes parents côtoyaient souvent. Je trouve cela formidable.
J'ai toujours su que j'étais adoptée. Je suppose que mon cas est différent des enfants ayant grandi en métropole. Je n'ai jamais eu de coupure nette avec mes parents biologiques.
Je me rappelle que je passais les week-ends chez eux et j'avais l'opportunité d'être avec mon frère cadet, jusqu' au jour où ma mère m'a clairement fait comprendre que je n'étais plus la bienvenue.
A partir de ce moment. J'ai refusé de retourner voir mes parents biologiques.
Je suppose que mon cas est différent des enfants ayant grandi en métropole. Je n'ai jamais eu de coupure nette avec mes parents biologiques.
En ce qui concerne le reste de la famille, ma grand-mère m’emmenait souvent les voir. Je connaissais mon arrière-grand-mère. Les frères et sœurs de ma grand-mère, mes cousins et cousines. Il n'y a pas eu de coupure, comme ces enfants qui partent définitivement du pays.
Dans un sens, on peut considérer que ces enfants ont la chance de réussir ailleurs, mais ils perdent aussi leur identité. C'est ce que j'ai ressenti, en vivant en métropole, seule. J'avais connu une vie de gaieté et de joie, et là oups ! On ne tutoie plus, on ne rit plus à gorge déployée !
J'ai eu beaucoup de chagrin et de nostalgie. J'ai perdu une grande partie de ma culture.
Heureusement, au bout de quelques années, j'ai pu revenir au Fenua. J’ai retrouvé ma famille. Mon père adoptif n'a jamais eu d'autres enfants avec ma grand-mère. J'ai coupé les ponts avec la famille métropolitaine de mon père adoptif, ses neveux voulaient me déshériter alors que mon père m'avait désignée comme légataire universel.
On peut considérer que ces enfants ont la chance de réussir ailleurs, mais ils perdent aussi leur identité. C'est ce que j'ai ressenti, en vivant en métropole, seule.(...) J'ai eu beaucoup de chagrin et de nostalgie. J'ai perdu une grande partie de ma culture.
Aimée est le prénom de ma grand-mère. Normalement, c'était « Me » son père l'avait nommée ainsi. Avec le temps, cela s’est transformé en « Aimée ».
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Je ressens beaucoup d'émotions et de fierté à partager avec vous le magnifique témoignage d'Aimée.
On peut d'ailleurs se demander si seul le hasard est le responsable de ce doux prénom, lourd de sens et de signification !
Il faut certainement avoir beaucoup d'amour à donner pour recueillir un enfant, sans l'avoir toujours demandé...
On comprend à la lecture du récit d'Aimée, qui fleure bon le "Tahiti d'antan", combien la culture ma'ohi solidaire et communautaire est responsable de "ses" enfants, quand l'individu fait défaut.
Malgré tout, on peut aussi s'interroger sur le devenir affectif de ces enfants, parfois ballotés d'un foyer à l'autre au gré des caprices des adultes. Peut-on s'épanouir émotionnellement dans de bonnes conditions sans réel référent affectif?
Dans le cas d'Aimée, l'amour ne semble pas avoir manqué et les références parentales semblent clairement identifiées. Elle a grandi dans un cadre familial sain et au contact de ses racines biologiques, comme le prévoit la tradition fa'a'amu.
Aimée nous rappelle combien l'éloignement et la rupture avec ses origines peuvent être douloureux. Cependant, la "double parentalité" ne semble pas être ce qui l'affecte le plus. L'attachement à sa culture et l'importance de connaître sa propre histoire, l'histoire de ses parents biologiques, ce qui a motivé leur choix m'apparaît à travers le récit d'Aimée bien plus essentiel...
On comprend aussi que le concept administratif de l'adoption simple, qui ne renie en aucun cas la filiation colle mieux au concept culturel de l'adoption coutumière dans la tradition ma'ohi.
Mille mercis Aimée pour ce puissant récit de ta vie ! J'ai une immense gratitude envers toi qui nous partage tout cela et nous guide par ton témoignage vers la compréhension de cette complexe tradition du fa'a'amu...
Mauruuru roa ia o'e !
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